Chapitre III) La vie d'avocat

Le parfum ou pourquoi je suis avocat

RĂ©cemment, un homme que j’aime beaucoup a commencĂ© par porter un certain parfum.

DĂšs que j’ai senti cette odeur pourtant agrĂ©able au nez, je me suis figĂ©e. Au bord de la nausĂ©e.

Ce n’était pas n’importe quel parfum. C’était le Parfum.

Le Parfum des mauvais souvenirs qu’on enfouit au plus profond de nous-mĂȘmes et qu’on aimerait oublier Ă  jamais.

C’était la premiĂšre fois depuis longtemps que j’étais confrontĂ©e Ă  cette senteur.

En humant ces effluves, j’ai fait un bond dans le temps, quinze ans plus tît


Comme si c’Ă©tait hier

***

Les années 2000, la chaleur du Sud Ouest

La joie d’apprendre Ă  l’école primaire comme au collĂšge avec la bande insĂ©parable de copines

Et le bonheur de jouer au football avec le club du quartier

Laissaient toujours place à l’angoisse de retourner à la maison

Cette maison cauchemardesque perdue au milieu des champs de maĂŻs

Parce qu’il Ă©tait lĂ ,

Le regard vitreux,

Le pas titubant,

Aux odeurs Ăącres de l’alcool qu’il dĂ©gageait, se mĂȘlait le Parfum 
.

La peur au ventre quand tombait le soir

Parce qu’il allait boire

La peur au ventre quand venait le week-end

Parce qu’il allait boire

La peur au ventre quand arrivait les FĂȘtes de fin d’annĂ©e

Parce qu’il allait boire

Je me souviendrai toujours

Des cris souvent, des cris toujours,

De la trace de son poing dans le radiateur de la cuisine quand il a loupé ma mÚre

Du coup de tĂȘte qu’il m’a assenĂ©e Ă  l’abri des regards dans le cellier

Des dons que j’ai rĂ©coltĂ© pour une association qu’il a volĂ©

Des menaces de mort que ma sƓur jumelle a enregistrĂ© sur son MP3

Et d’un propos encore plus dĂ©gueulasse dont je ne dirai mot

Je me souviendrai toujours

De la peur de m’endormir le soir « Et s’il me tuait dans mon sommeil ? Â»

De l’incomprĂ©hension des amis d’enfance « Mais il est gentil ton beau-pĂšre Â»

De ma rage le jour oĂč je me suis interposĂ©e entre lui et ma mĂšre « Tu ne touches pas Ă  ma mĂšre »

Je me souviendrai toujours

Du sentiment d’impuissance et d’injustice de l’enfant que j’étais

Mais aussi de la colĂšre.

Une colĂšre sourde et profonde.

***

Mon pĂšre pense que ce vĂ©cu n’est pas Ă©tranger Ă  ma vocation pour la profession d’avocat.

J’y ai repensĂ© lorsque que par le plus grand des hasards, je me suis retrouvĂ©e lors de la formation Ă  l’Ecole des avocats Ă  ĂȘtre le ContrĂŽleur Judiciaire de plusieurs dizaines de personnes accusĂ©es de violences conjugales.

Je suivais leur Ă©volution pendant plusieurs mois. La plupart luttait contre une addiction Ă  l’alcool ou la drogue.  

Sans jugement aucun, je les encourageais tandis qu’eux se confiaient.

Un lien de confiance s’était instaurĂ© avec chacun d’entre eux ainsi qu’une certaine forme de sympathie.

Je mourrais d’envie de les dĂ©fendre dans les prĂ©toires.

Comme un pied de nez au destin.

Pourquoi suis-je devenue avocat ?

C’est une grande question qui appelle de multiples rĂ©ponses.

NĂ©anmoins, une chose est certaine :

La colĂšre

La rage

Le sentiment profond d’injustice

Tous ces ressentis lorsque j’étais enfant m’accompagnent toujours Ă  l’ñge adulte.

Je les laisse parfois bondir lorsque je plaide pour les personnes que j’ai l’honneur de dĂ©fendre.

Je n’ai pas su protĂ©ger ma famille, alors autant que ces Ă©motions fortes servent la cause d’autrui.

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2 réflexions sur “Le parfum ou pourquoi je suis avocat

  1. Sylvie Courtin dit :

    Ta vocation et ton acharnement Ă  dĂ©fendre tout individu vienne peut-ĂȘtre du plus profond de ton enfance mais ce qui est sĂ»r c’est que tu seras une grande avocate ; j’ai toujours aimĂ© t’écouter parler. Force

    J’aime

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