Chapitre II) La formation à l'école des avocats

Souvenirs de mon premier procès en Cour d’assises

Les personnages :

Monsieur G., l’accusé

Maître Frank Berton, l’avocat de Monsieur G.

Monsieur Luc Frémiot, l’avocat général

Maître X, l’avocat de Jade

Jade, une des parties civiles

Mathias, fiancé de Jade

Monsieur R., témoin

 

ACTE I 

[Scène unique]

 

Janvier 2018, espace distributeur de la Faculté de Droit de Lille II.

Dans mon esprit, devenir avocate était un rêve inaccessible. Inaccessible financièrement car j’étais lourdement endettée d’un prêt étudiant de 10 000 euros. Inaccessible socialement car avec un père cheminot et une mère secrétaire devenue ouvrière, rien ne me destinait à l’exercer. Je ne connaissais pas les codes et encore moins un avocat pour me guider.

Et puis, j’ai eu la chance de rencontrer Maître X. Lorsque j’étais en deuxième année de droit, il était mon Chargé de TD en Droit des Obligations. Charismatique, exigeant et passionné. C’est précisément en l’écoutant parler de son métier avec ferveur en cours que je me suis jurée de tout faire pour réussir à exercer cette magnifique profession dont j’ignorais alors tout. Jamais avare de conseils, il a toujours cru en moi et m’a toujours soutenue.

Ce matin-là, je sirote un café trop sucré du distributeur de la Faculté en compagnie de mon ancien professeur. Ce matin-là, Maître X arbore un air satisfait de me voir remotivée après mon échec récent à l’Examen d’entrée à l’École des avocats. Ce matin-là, nous sommes en grande discussion à propos de la profession. Lui est avocat en dommage corporel. Il ne défend que des victimes et cela a l’air de l’amuser que je souhaite devenir avocate pénaliste.

 

MAÎTRE X

Ça vous dirait de m’accompagner à un procès d’assises ?

 

MOI (très enthousiaste)

Ah mais oui ! Merci beaucoup !

 

ACTE II

 

Juin 2018, Cour d’assises de Douai.

 

[Scène 1]

Je n’ai pas pu assister aux deux premiers jours du procès d’assises qui allait durer six jours. Néanmoins, j’avais suivi attentivement le déroulement des débats sur Twitter et dans la presse.

Installée sur un banc inconfortable de la Cour d’assises de Douai, j’observe avec curiosité les acteurs du procès.

L’accusé

Il s’appelle Monsieur G. Bâti comme une armoire à glace, ce boulanger passionné de boxe a les cheveux coupés très courts. Il ne laisse transparaître aucune émotion, comme s’il était étranger à son propre procès. Son attitude est pour le moins détestable. Il se montre méprisant et narquois.

Cet homme est accusé de viols et de tentative de viols avec menace d’une arme sur des jeunes femmes.

L’avocat de la défense

L’avocat de l’accusé n’est autre que le Ténor du Barreau, Maître Frank Berton. Fascinée d’avoir en face de moi l’un des meilleurs avocats pénalistes de France, je le contemple stabiloter les côtes de son dossier, questionner les personnes à la barre et parfois s’indigner.

Il me paraît encore plus charismatique qu’à la télévision mais plus petit aussi.

L’avocat général

Il s’agit de Luc Frémiot, l’un des avocats généraux les plus reconnus du pays. Vêtu de sa robe rouge, il représente l’accusation avec son regard perçant et sa chevelure grisonnante.

Les parties civiles

Six jeunes femmes courageuses sont assises sur le banc des parties civiles. Six jeunes femmes dont la vie a été bouleversée par des actes monstrueux et qui, des années après, en portent encore les stigmates. Parmi elles, Jade, la cliente de Maître X. Matthias, son fiancé, est venu la soutenir.

Ces victimes présentent un profil similaire. En effet, à l’époque des faits, elles étaient étudiantes et résidaient non loin du Quartier Vauban à Lille. De plus, elles ont été agressées la nuit.

Généralement, le mode opératoire est l’effraction de l’appartement des victimes la nuit avec un pied de biche et la menace d’un couteau.  

Les avocats des parties civiles

Six robes noires ont la tâche de porter la plume et la voix des victimes. Maître X fait parti de ceux-là.

Les juges

Ceux qui auront la lourde tâche de juger sont des magistrats professionnels (la Présidente de la Cour d’assises, ses deux assesseurs) et le jury populaire. Cette fois, les jurés choisis au hasard dans la société civile sont quatre hommes et deux femmes. Des Monsieur et Madame Tout le Monde qui devront décider s’ils estiment Monsieur G. coupable des faits reprochés.

 

[Scène 2]

Les débats poursuivent leurs cours.

S’ensuivent dans le désordre les témoignages glaçants des six parties civiles dont Jade, les nombreuses ex-petites amies de Monsieur G., l’étude de la géocalisation du téléphone portable de Monsieur G. mais aussi les interventions des experts psychologues et experts psychiatres.

Au fil des témoignages délivrés par les uns et des questions posées par les autres, je perçois peu à peu les éléments qui jouent en la faveur de Monsieur G et les éléments qui sont en sa défaveur.

En apparence, il a tout du coupable idéal. Monsieur G, a déjà condamné pour un viol par le passé. De surcroît, il a été interpellé dans sa voiture contenant un pied de biche rouge et un couteau en céramique bleu. Ces deux objets constituent précisément le mode opératoire de l’agresseur. Surtout, certaines victimes le reconnaissent formellement. Enfin, son téléphone portable a été géolocalisé à proximité des lieux des crimes.

Néanmoins, en pratique, des éléments suscitent inévitablement le doute. Ainsi, aucun ADN n’a été retrouvé car l’agresseur utilisait un préservatif. Certaines victimes sont incapables de reconnaître la personne qui a abusé d’elles. Enfin, il travaillait dans des boulangeries à proximité des lieux des crimes, ce qui pourrait être expliquer la géocalisation de son téléphone portable.  

J’avais lu quelque part qu’un procès d’assises ne se joue pas au moment des plaidoiries mais lors des débats. Or, la tournure d’une question posée par un des jurés à un expert psychiatre me fait penser que rien n’est encore joué dans ce procès. Qu’importe l’attitude détestable de l’accusé, ni l’acquittement, ni la condamnation ne me paraissent acquis.  

 

[Scène 3]

Á une suspension d’audience, je saisis l’occasion de discuter avec Maître Frank Berton. Il est accessible et sympathique. Avec sa voix grave, il me donne ce conseil : « Il faut travailler, travailler, travailler. » Il m’encourage également à repasser l’Examen d’entrée à l’École des avocats après mon échec. Les jours suivants du procès, le Ténor du Barreau aura toujours la courtoisie de me saluer, ce qui me surprendra agréablement.

 

[Scène 4]

C’est au tour de Monsieur R. de venir à la barre en tant que témoin. Monsieur R. est un ancien compagnon de cellule de prison de Monsieur G. Il présente la particularité de s’être dénoncé à la place de Monsieur G. pour les faits reprochés à ce dernier. D’ailleurs, Monsieur R. a été condamné pour trois viols par le passé sur des étudiantes revenant de soirée dans le centre de Lille. Cela présente des similitudes troublantes avec les faits dont est accusé Monsieur G… 

Si Monsieur G. est baraqué, Monsieur R. est frêle. Si Monsieur G. s’exprime avec une aisance certaine, Monsieur R., placé sous curatelle, éprouve plus de difficultés. Il a parfois l’air absent.

Á la stupéfaction générale, Monsieur R. accuse Monsieur G. de diverses horreurs qui glacent d’effroi toute l’assistance de la Cour d’assises.

En effet, Monsieur R. explique que Monsieur G. a instauré un climat de terreur dans leur cellule commune de prison. Il l’accuse de l’avoir tabassé, violé et même contraint de manger des pâtes par terre, « comme un animal ». Monsieur R. avait très peur de Monsieur G. C’est pourquoi il s’est dénoncé à sa place quand celui-ci lui a demandé.

Je remarque que les jurés regardent avec sévérité Monsieur G. après cela. C’est à ce moment-là que j’ai l’impression le procès bascule véritablement.

Par ailleurs, c’est durant l’intervention de Monsieur R. que Monsieur G a laissé transparaître deux rares émotions sur son visage impassible. Quand Monsieur R. a raconté que le père de Monsieur G. frappait son fils, l’accusé a baissé la tête, l’air mal à l’aise. Il faut dire que son père était présent dans la salle et ces mauvais traitements n’avaient jamais été mentionnés auparavant. Puis, à l’évocation du viol de Monsieur R. par Monsieur G, l’accusé s’est mis en colère en disant qu’il n’était pas homosexuel.

 

[Scène 5]

Les débats sont terminés et déjà je mesure à quel point un procès d’assises est épuisant émotionnellement et physiquement. Les journées commencent à 9h et se terminent aux environs de 20h, entrecoupée de pauses déjeuner dans la chaleur des brasseries en compagnie de Maître X, Jade et Matthias. Cependant, je suis tellement passionnée par le procès que j’en perds l’appétit.

 

[Scène 6]

Voici venu le temps des plaidoiries.

J’angoisse pour Maître X et pour Maître Frank Berton. Quasiment autant que si j’allais plaider à leur place.

C’est d’abord aux six avocats des parties civiles de s’avancer à tour de rôle et de s’adresser aux jurés.

 

MAÎTRE X

Blandine, Jade, Camille, Jeanne, Audrey, Léa, et toutes les autres qui n’ont pas pu être devant votre juridiction. C’est pour elles que j’ai mes premiers mots avant toute chose. Pendant cinq jours, j’ai observé ces victimes qui ont fait preuve de dignité et qui ont dû se rappeler les affres de ce qu’elles ont vécu.

(…)

Jade, ma cliente, a une formation de juriste. Elle n’accuse pas au hasard. Elle connaît le poids des déclarations.

(…)

 

Ensuite, c’est à l’avocat général Luc Frémiot de requérir.

 

LUC FRÉMIOT (en regardant par la fenêtre)

Madame la Présidente, Messieurs les jurés,

J’aime regarder par la fenêtre avant de requérir, car cela me rappelle que la vie continue.

Cela fait du bien car cela me rappelle qu’en dehors de cette cathédrale de l’horreur, il y a autre chose.

Cela est important avant de se replonger dans le malheur.

LUC FRÉMIOT (plantant son regard dans celui des jurés)

(…)

Mesdames, Messieurs les jurés,

Les parties civiles doivent être votre miroir car elles portent en elles une certaine forme de désarroi et ont décidé de vivre avec…

(…)

Surtout, je vous demande de vous souvenir d’elles.

(…)

L’avocat général  demande  25 années de réclusion criminelle contre Monsieur G. ainsi qu’un suivi socio-judiciaire.

 

Enfin, c’est au tour de Maître Frank Berton de plaider. Le voilà qui prend sa tête dans les mains avant de plaider. Les yeux fermés, l’air concentré. Entretemps, la Cour d’assises s’est remplie d’avocats, d’étudiants, de curieux, venus assister à sa plaidoirie.

Tout est contre l’homme qu’il défend : l’accusation, certains témoins, les six parties civiles. Même l’attitude de l’accusé ne l’a pas aidé. Maître Frank Berton est seul. Seul pour convaincre six jurés, la présidente de la cour d’assises et les deux assesseurs. Seul contre tous. La solitude de l’avocat pénaliste.

La présidente de la Cour d’assises jette un regard vers l’avocat de la défense, l’air grave.

 

PRÉSIDENTE DE LA COUR D’ASSISES

La parole est à la défense.

 

FRANK BERTON

(silence)

Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les jurés,

Ce procès a été difficile.

(silence)

Ce procès a été âpre.

(silence)

Et la place que j’occupe est compliquée.

Une seule chose vous importe : la certitude !

(…)

VOUS NE REGARDEREZ PAS LA COUPE DU MONDE CE SOIR !

PARCE QUE VOUS ALLEZ FAIRE QUELQUE CHOSE DE TERRIBLE : JUGER CET HOMME.

(…)

Estomaquée, j’observe Maître Frank Berton poser des silences assourdissants, jouer de sa voix grave comme d’un instrument de musique, tantôt en susurrant, tantôt en tonnant. J’arrête de prendre des notes et je pose mon stylo tellement je suis absorbée par ses propos.  Le Ténor du Barreau a une telle maîtrise… Il est un Maître. Pas seulement en terme d’éloquence mais aussi sur le fond. Il décortique les dossiers minutieusement un par un en soulevant tous les doutes pour demander l’acquittement. C’est en l’écoutant plaider que je comprends ce qu’est véritablement un avocat pénaliste. Sa plaidoirie est une magnifique leçon, la plus belle que j’ai reçue à ce jour et je rêve de travailler pour lui un jour.

La parole revient en dernier à l’accusé. Monsieur G. n’a rien à ajouter pour sa défense, si ce n’est qu’il est innocent. La Cour se retire pour délibérer.

 

[Scène 6]

L’attente du délibéré est insoutenable. Ce sont de longues d’heures qui paraissent une éternité. Ce sont de longues heures d’angoisse, en compagnie de Maître X, Jade et Matthias.

Surtout, cela paraît irréel de reprendre des activités simples de la vie quotidienne comme boire un verre, faire du shopping et regarder le match de la Coupe du Monde de football France-Pérou après avoir passé des jours entiers à écouter des récits d’horreur.

 

[Scène 7]

 

LA PRÉSIDENTE DE LA COUR D’ASSISES

Accusé, levez-vous !

 

Un silence de mort emplit la Cour d’assises. Toute l’assistance retient son souffle en attendant le verdict. 

Monsieur G. est reconnu coupable pour l’ensemble des faits reprochés. Il est condamné à 27 ans de réclusion criminelle.

Retentissent alors des cris de soulagement sur les bancs des parties civiles

Je suis soulagée que Jade ait obtenu gain de cause car je me suis attachée à elle. En effet, pendant plusieurs jours, j’ai partagé son stress et ses interrogations avec Maître X et Matthias.

Néanmoins, je suis également perplexe car certains faits reprochés suscitent, à mon sens, le doute sur la culpabilité de Monsieur G. Je m’interroge : à quoi se joue un acquittement ? Je prends alors conscience de toute la difficulté de juger mais aussi de défendre. 

 

[Scène 8]

Nouvelle suspension d’audience.

 

MOI (en m’adressant à Luc Frémiot)

Bonsoir Monsieur l’avocat général.

 

LUC FRÉMIOT

Bonsoir Mademoiselle.

 

MOI

Votre réquisitoire était émouvant. C’est vraiment dommage que vous partez bientôt à la retraite. Je me destine à la profession d’avocate pénaliste et j’aurais aimé plaider contre vous.

 

LUC FRÉMIOT  (en riant)

Je vous remercie. 

 

[Scène 9]

Le procès se termine enfin avec la courte audience des intérêts civils. Chaque avocat des victimes énonce le montant des dommages et intérêts demandés pour sa cliente dans un climat d’épuisement général.

 

[Scène 10]

La Fête de la Musique bat son plein à Douai. Maître X, Jade, Matthias et moi-même quittons la Cour d’assises. Nous marchons dans les rues de la ville, animée par les musiciens d’un jour ou de toujours. Nous marchons dans la chaleur de ce soir d’été, éclairés par les dernières lueurs du soleil qui se couche. La justice a été rendue.

 

 

 

***

Les identités des parties civiles ont été modifiées, dans un souci de respect de leur vie privée.

***

Ce procès est également relaté dans l’ouvrage « Le Journal de Frank Berton », superbement écrit par la journaliste Madame Elsa Vigoureux. Je vous le conseille vivement.

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4 réflexions sur “Souvenirs de mon premier procès en Cour d’assises

  1. Anonyme dit :

    Lisa,
    Je reconnais là l’étudiante sérieuse et motivée avec qui j’ai eu plaisir de discuter.
    Deviens cette avocate pénaliste consciencieuse et pourquoi pas, devient le prochain ténor.
    Quel plaisir de voir des jeunes avec de vrais valeurs.
    Sylvie Courtin

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  2. Anonyme dit :

    je suis la tante de Jade et votre récit s’apparente à une pièce de théâtre sauf que les personnages y sont réels et qu’ils ont souffert ou trichés ou meurtris. Je me demande souvent comment un avocat peut défendre un criminel. Vous en distillez quelques éléments de réponse. En tout cas, merci pour votre contribution et tous mes voeux pour réussir dans cette carrière d’avocat à laquelle vous vous destinez;

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